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C’était dans ce climat d’animosité réciproque, alourdi par les malentendus des premiers jours que Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké entreprit sa mission d’islamisation de la société sénégalaise. Né vers 1853 de parents toucouleur "wolofisés", il se montra très jeune fin érudit, maîtrisant parfaitement les disciplines enseignées par les écoles et universités du Sénégal et de la Mauritanie. Il adhéra tour à tour aux différentes confréries qui travaillaient à l’édification religieuse des musulmans. Mais, ne trouvant nulle ce qu’il y cherchait, il désespéra des hommes et se tourna d’un coeur repentant vers l’Eternel qui seul pouvait lui permettre d’étancher sa soif de spiritualité.
Dès 1880 il avait commencé à diriger ses attaques contre les marabouts courtisans, conseillers des rois, qui interprétaient de façon laxiste le Coran dans le seul but de plaire aux caprices des souverains. Ils légitimaient leurs actes les plus révoltants, les plus injustes. A la mort de son père en 1882 il refusa le poste de Cadi c’est-à-dire chef du service judiciaire du Kajoor en disant : « j’ai honte que les anges me voient porter mes pas auprès d’un roi autre qu’Allah ». Cette conduite irréprochable vis-à-vis des détenteurs du pouvoir temporel lui attira l’affection de beaucoup d’éléments de la population. Eux aussi sentaient confusément cette grave disjonction entre l’islam et les pratiques de ceux qui s’en réclamaient. Comme ses prédécesseurs, Cheikh Ahmadou Bamba demeurait convaincu que l’application stricte de la loi musulmane était seule à même de permettre la régénération de la société sénégalaise. Les habitants désaxés par la conquête auraient aussi la possibilité d’entrer dans une autre communauté.
Au départ les premiers adeptes de Cheikh Bamba, connus sous le nom de mourides c’est-à-dire d’aspirants à Dieu, se recrutaient surtout parmi les éléments déshérités de la population. En 1889 le Ndiambour était envahi par ses disciples qui étaient d’anciens tisserands, des griots qui se faisaient construire leurs cases « sans frais par les villages voisins »13. Tous étaient hostiles au chef de province du Ndiambour Ibrahima Ndiaye à qui ils reprochaient sa docilité à l’endroit de l’administration coloniale . Le même comportement vis-à-vis des chefs locaux était constaté chez les adeptes de Cheikh Bamba établis au Bawol, au Jolof comme au Sine et au Saloum. Tous ceux qui étaient en quête d’absolu ou refusaient de s’accommoder de la situation coloniale le choisirent comme maître spirituel. On y trouvait des marabouts, d’anciens guerriers en chômage du fait de la conquête, des chefs destitués, des esclaves en rupture de ban, bref la plupart des individus que l’ordre colonial avait plongés dans une profonde détresse. La présence de ces mécontents dans le mouvement donna à la confrérie mouride l’aspect d’un abri où se réfugièrent tous les ennemis de l’administration coloniale. C’est eux, anciens cadres de la société traditionnelle, qui infléchirent le mouvement dans cette direction au point de rendre possible l’équation selon laquelle l’appartenance à la confrérie impliquait l’hostilité à la France. L’islam devint alors nettement une arme qui leur permettait de sauvegarder leur identité qu’on voulait dissoudre dans celle de la France. L’opposition politique à la domination coloniale prit une coloration religieuse. L’islam servit de moyen d’expression à la protestation sociale de la population soumise à un ordre colonial particulièrement brutal. Il devint par la confrérie des Mourides la réponse nette d’un peuple qui, ayant perdu son indépendance, n’avait plus le droit de s’exprimer par une action politique directe. A mesure que volait en éclats l’ancienne armature administrative, les conversions à l’islam se multipliaient par l’entremise de la confrérie de Cheikh Bamba qui ne cessait de dire à ses adeptes qu’ils ne devaient servir que la gloire d’Allah. La soumission à Dieu était donc la pierre angulaire de ses prédications.----- Cette formule marquait avec force la ligne de démarcation entre l’autorité coloniale et la confrérie mouride. En effet si toute obéissance va à Allah et ne peut aller qu’à lui, car lui seul a droit de commandement sur terre, on en conclut qu’il n’est d’autre autorité que celle d’Allah. Et s’il faut obéir à ceux qui détiennent le commandement on doit toujours ajouter que c’est à condition que l’ordre soit en parfaite conformité avec la loi coranique. Dès lors comment obéir à des autorités dont la légitimité ne repose que sur la force brutale alors que fondamentalement l’islam rejette ce qui s’appuie sur le despotisme. L’administration ne comprit que trop bien les dangers qu’une telle attitude faisait courir à son autorité. Elle savait qu’elle ne pouvait pas compter sur l’assentiment d’hommes qui n’avaient pour unique abri que Dieu seul. Au Kajoor, au Bawol et au Jolof où Cheikh Bamba s’établit en 1894 on vit des communautés villageoises passer presque en entier à sa confrérie qui s’enrichissait sans cesse des multitudes persécutées ou victimes du nouvel ordre . Partout les néophytes, de concert avec les anciens guerriers de Lat Dior, de Thiéyacine, de Tanor Dieng ou de Alboury Ndiaye menaient une active propagande contre la présence française. Tous ceux qui se ralliaient à la confrérie connurent la joie d’être soustraits aux erreurs du paganisme et l’espoir de faire échec au conquérant qui s’était approprié leur pays. Tous confondirent leur cause avec celle de la confrérie mouride et mirent à son service leurs indéniables qualités d’organisation qu’ils avaient acquises quand ils assuraient la gestion de. leur pays. Le prétexte religieux fut le commun véhicule pour exprimer cette animosité radicale vis-à-vis de l’administration coloniale.
Les échos du triomphe de la confrérie de Cheikh Bamba atteignirent les coins les plus reculés du pays. Les villages qu’il avait fondés au Kajoor, au Bawol, au Jolof comme ceux de ses grands disciples étaient les rendez-vous d’un nombre considérable de pèlerins qui apportaient des cadeaux16 mais en repartaient avec des directives précises qui n’avaient rien à voir avec celles de l’administration. Ignorés par les adeptes du grand marabout, beaucoup de chefs de canton et de province comprirent la précarité de leur situation. Les impôts ne rentraient pas et on leur reprochait leur incapacité à tenir correctement leurs circonscriptions. La peur de perdre leur emploi les conduisit alors à dresser de violents réquisitoires contre Cheikh Bamba et ses ouailles à qui ils imputèrent toutes les difficultés. Beaucoup demandèrent à l’administration des mesures contre ces agitateurs qui n’attendaient qu’une occasion favorable pour mettre le pays à feu et à sang17. Pour preuve de ce qu’ils avançaient, ils dénoncèrent dans leurs rapports les anciens guerriers qui se trouvaient chez Cheikh Bamba. C’étaient Birahim Codou Diallo Fall, Moctar Mariama Diop, Mahmadou Fatim, Gallo Ndiaye, Ali Bouri Penda, Amadou Makhouredia. L’inquiétude qui gagna l’administration s’expliqua par le fait que ces guerriers disposaient d’individus nombreux qui, structurés en armée, pourraient compromettre les bases de la domination française. A Saint-Louis même, Cheikh Bamba avait un millier d’adeptes, cinq mille dans le Ndiambour et des milliers dans le Kajoor, le Bawol, le Jolof. En toute occasion ils faisaient étalage de leur inimitié vis-à-vis des Français et de leurs collaborateurs qu’ils couvraient d’insultes. L’administration décida de recourir à la répression contre Cheikh Bamba et ses adeptes à qui on reprochait de parcourir activement le pays pour « recruter des chevaux, des ânes, des pileuses de couscous »20 pour se préparer à la guerre sainte. Des renseignements émanant des chefs locaux étaient unanimes à dire que les préparatifs étaient réels, que de nombreux chevaux étaient réunis à Touba du Bawol, que beaucoup d’armes et de munitions étaient acheminées vers Touba du Jolof où résidait le Marabout. Pour couronner ce montage qui ne reposait que sur la malveillance intéressée de chefs ou de marabouts désobéis par leur administrés ou abandonnés par leurs adeptes, on fit savoir à l’autorité administrative que Cheikh Bamba avait même quitté la confrérie Khadria pour adhérer à la Tijanya qui comportait "des prédications de guerre religieuse"21. Du moment que El Hadj Omar, Maba Diakhouba, Ahmadou Cheikhou qui firent la guerre sainte appartenaient à cette confrérie, l’adhésion de Cheikh Bamba à cet ordre ne pouvait signifier que sa volonté de les imiter sur la voie de la lutte armée. On trouva une parfaite similitude entre ses protestations d’amitié à l’endroit de l’autorité coloniale et celles que lui firent « Maba en 1864, Ahmadou Cheikhou en 1868, Mamadou Lamine en 1885 à la veille de leurscampagnes ». Comme on s’en aperçoit ce faisceau de rumeurs ne valait pas des preuves précises. L’unique préoccupation du marabout était de faire de ses adeptes des musulmans authentiques conformant leurs pratiques quotidiennes aux principes coraniques. Ce fut dans cette perspective qu’il avait conseillé de cesser le combat, à Albouri qui, ne voulant déposer les armes, alla rejoindre Ahmadou le fils de El Hadj Omar. Il avait l’intime conviction que la force spirituelle était supérieure à celle des armes et qu’en devenant des musulmans sincères ils rendaient superficielle la domination française qui serait alors impuissante à dévoyer l’âme du peuple. La guerre sainte, qu’il demandait de mener, consistait à lutter contre les illusions de l’individualité, l’orgueil mal placé, les tentations de Satan. Les succès de sa confrérie étaient inséparables des bouleversements opérés par la colonisation qui avait provoqué dans les populations un désarroi total. En offrant un cadre de vie accordé aux espérances spirituelles des populations, la confrérie de Cheikh Bamba leur apportait une réelle sécurité appuyée sur une promesse de salut23. Les uns et les autres trouvèrent dans la croyance en Dieu un alibi du quotidien. C’était en ce sens que le mouridisme de Cheikh Bamba compromettait la politique française au Sénégal, car il était devenu le refuge du sentiment national avec lequel il se confondit. L’autorité coloniale prêta au marabout des ambitions purement terrestres ce qui était aux antipodes de la vérité. Elle était désespérée de voir les foules préférer tourner leurs espérances vers cet homme de Dieu qui n’avait pour armes que la sainteté de sa vie et la pureté de son enseignement. Du moment qu’il concurrençait dangereusement l’administration dans la conquête des âmes, il fallait l’éloigner du pays afin d’y faciliter le triomphe de la civilisation française, et ramener le calme dans le Ndiambour, le Kajoor, le Bawol et le Jolof où résidait la plupart de ses adeptes. En vertu de l’article 4 du décret du 30 Septembre 1887 relatif aux pouvoirs disciplinaires des administrateurs coloniaux, on décida de l’interner administrativement pour quelques années au Gabon où ses prédications n’auraient aucun effet sur les populations.
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