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LE CONTEXTE HISTORIQUE
Vers la fin du XVIIIe siècle, ils connurent quelques succès. En 1776 la Révolution théocratique triomphait au Fouta-Toro. Les échecs constatés au Kajoor et au Bawol ne les dissuadèrent pas de reprendre la lutte au XIXe siècle.
Le Waalo connut en 1825 un soulèvement maraboutique qui fut sans lendemain. En 1859 les marabouts du Ndiambour ne furent guère plus heureux dans leur tentative de renverser la royauté. Toutefois Ahmadou Cheikhou de Wouro Mahdiyou parvint, entre 1869 et 1875, à créer une entité autonome au Fouta. En 1860 Maba Diakhou avait créé la théocratie du Rip. Ainsi donc l’objectif des marabouts était l’islamisation de la société. Ils étaient très sensibles aux distorsions entres les dispositions de la société islamique et la conduite des dirigeants politiques. Ils avaient constaté que les notions d’égalité, de fraternité entre les croyants, les valeurs de fidélité, de justice et de solidarité étaient devenues lettres mortes. Les musulmans furent entravés dans leurs entreprises par la conquête française. La France était décidée à détruire toutes les formes de résistance afin de pouvoir procéder dans l’immédiat à l’exploitation des ressources du pays. L’intrusion de la France fut pour tout le monde un contact destructeur. Sous sa pression technique, la civilisation locale s’écroula. Les autochtones perdirent la capacité de se développer de façon autonome face à la volonté du conquérant de fondre le pays selon ses principes.
De leur côté les musulmans, possédant une grande capacité d’organisation, s’attachèrent à regrouper les croyants sous une même idée, un même sentiment, afin de faire d’eux une force entreprenante en vue de l’instauration d’une société véritablement islamique. Entre ces deux forces qui se disputaient le contrôle des consciences aucun compromis n’était a priori envisageable. Chacun des camps fit de son adversaire un portrait très peu élogieux. L’autorité coloniale, qui s’était partout heurtée à l’hostilité des musulmans, décida de combattre l’islam avec une extrême sévérité. Mage, Carrère, Paul Holle, Archinard préconisèrent des mesures efficaces contre le péril de l’islam1. Carrère et Holle qualifièrent l’islam d’idolâtrie, contrairement à toute vérité. La suppression de son culte était même proposée comme but légitime de la politique française. A leurs yeux toute politique de tolérance à son endroit rendait impossible tout progrès du catholicisme dans ce pays2. Ces propos n’étaient que des préjugés qui n’avaient rien à voir avec la vérité. En effet il est incontestable que l’islam a élevé le sens moral et l’intelligence des peuples qu’il a arrachés à leurs religions locales. L’abolition des idoles de la Mecque fut la gloire de Mouhammed. A chaque page le Coran insiste sur le dogme de l’Unicité d’Allah. D’un autre côté l’intempérance et l’alcoolisme, qui furent à l’origine de la dégénérescence de certaines populations africaines, trouvèrent dans l’islam leur frein le plus efficace3. Les Européens, qui dénièrent à cette religion tout sens moral, ne s’étaient pas fait faute d’inonder une grande partie de l’Afrique de vins et de liqueurs de très mauvaise qualité qui abrégeaient les jours de ceux qui les consommaient. Partout où il avait triomphé, l’islam avait aboli l’anthropophagie, interdit le massacre des populations, distribué une instruction et une éducation morales en vue de donner aux hommes la plénitude de leur dignité. Dans ce réquisitoire dressé contre l’islam pour justifier la répression, le fatalisme était signalé comme une barrière qui empêchait les musulmans d’accéder au progrès. Cette disposition de l’âme ne doit pas être interprétée de façon littérale. La tradition prophétique enseigne qu’il faut travailler comme si l’on ne devait jamais mourir et prier comme si on devait mourir à très brève échéance. La cité musulmane aux yeux du prophète Mouhammed ne peut être harmonieuse que si tous les musulmans savent à la fois y prier sans cesse et se consacrer sans cesse avec zèle aux activités temporelles. A ce prix ils auront la capacité d’accroître leurs authentiques valeurs spirituelles avec même la possibilité de les accroître avec l’aide du voisin. Si par malheur le succès ne couronne pas l’entreprise le musulman est toujours à même de relever la défaite par "une noble résignation"4 en acceptant de s’incliner devant la volonté d’Allah. Force est cependant de constater que l’islam est une religion aussi exclusiviste que le christianisme. Avec lui on ne sert pas deux maîtres à la fois. Les marabouts, sentant la concurrence que leur ferait cette religion importée par les conquérants, ne pouvaient que rivaliser avec elle. Sur le plan militaire, avec la défaite de toutes les aristocraties, ils s’attachèrent à transférer la lutte dans le domaine souterrain, inaccessible à l’envahisseur. L’islam fut interprété dans le sens du combat. Il devint alors l’incarnation du non de tous ceux qui avaient des griefs réels ou imaginaires contre l’autorité française5. L’islam devint alors une force irréductible qui aida à conserver l’existence. Toutes les revendications furent transposées sur le plan religieux. Dans l’enseignement comme dans la vie quotidienne on insistait sur tout ce qui faisait la différence, la particularité de l’islam par rapport au christianisme. Cette attitude était d’autant plus facile à soutenir que le colon donnait l’impression, à ceux qui ne connaissaient pas sa civilisation, de considérer l’homme comme un être physique uniquement préoccupé par son existence terrestre alors que le musulman est avant tout un être mortel qui doit en passant sur la terre se préparer à entrer dans l’éternelle société d’Allah. L’homme d’Occident semble déifier la matière. Il est toujours à la recherche effrénée du confort. Chez les musulmans, à l’ambition de dominer les forces de la nature, est conjoint l’effort moral des consciences pour donner leur droit aux authentiques forces spirituelles. C’est pour cela que l’islam recommande de travailler à l’aménagement de la terre dans la justice. Les conquêtes matérielles ne sont légitimes que si elles sont couplées avec le devoir de lutter en permanence contre la corruption des moeurs en vue de la perfection morale, gage du salut. L’islam enseigne que l’homme doit développer les virtualités contenues en lui et travailler à faire des forces de la nature des instruments de sa propre libération. Il a aussi conscience de la grandeur humaine. Par lui l’individu apprend qu’il a des devoirs mais aussi des droits. Dès lors aucun compromis ne semblait possible entre l’administration coloniale qui, par l’assimilation, voulait faire des Africains des Français noirs et l’islam qui désirait réaliser le monopole des fidèles qui était le but ultime de son ambition. C’est pour cela qu’en dépit de toute la considération accordée à Jésus par les musulmans qui le placent parmi les plus grands prophètes de l’humanité et en dépit de la tolérance que prône l’islam à l’endroit des chrétiens et des juifs, l’administration coloniale n’en continua pas moins à le considérer comme son ennemi principal du moment qu’il lui disputait le contrôle des consciences. Son triomphe aurait signifié l’échec de la colonisation. L’administration décida donc de le combattre avec énergie car il était notoirement hostile aux intérêts matériels du conquérant. On disait qu’il était de trop récente importation au Sénégal pour qu’il fût bien difficile d’arrêter ses progrès incessants et même de le faire reculer. Il fallait agir avec décision, énergie, persévérance et profiter de chaque insurrection pour déporter en Guyane tout marabout coupable d’excitation à la révolte6. Pour BIZEMONT il n’y avait pas à s’y tromper, tous étaient « dans ce cas et prêchaient ouvertement la guerre sainte »7. La lutte à mort contre l’islam était pour ainsi dire inévitable8. Sans doute par la guerre sainte des marabouts étaient parvenus à créer des théocraties comme au Fouta Djallon en 1725, au Fouta Toro en 1776, au Sokoto entre 1783 et 1817, au Macina en 1818. De son côté El Hadji Omar avait fondé son empire entre 1854 et 1864 sur une base islamique. Les initiateurs de ces guerres saintes étaient surtout préoccupés par le remodelage de leur société en déliquescence, selon les prévisions de la loi islamique. Leurs entreprises étaient dirigées contre des aristocraties païennes, totalement engagées dans le trafic négrier. Ces marabouts savaient qu’il leur était interdit de faire la guerre sainte à tous ceux qui avaient reçu une révélation de Dieu. Les chrétiens et les juifs étaient donc exclus de leur champ d’intervention. En invoquant la guerre sainte dans leur lutte contre le conquérant, ils entendaient se servir de l’islam comme d’un ciment pour souder les éléments souvent d’origine diverse qui constituaient l’ossature de leurs armées. Donc les guerres soutenues contres les envahisseurs n’avaient de Djihad que le nom. La religion « n’était le plus souvent pour rien dans les longues luttes engagées contre les chrétiens non en tant que chrétiens mais comme concurrents politiques et commerciaux » qui voulaient leur ravir leur pays. L’islam leur permettait d’exalter l’esprit national de leurs adeptes, de faire d’eux des hommes superbes « au maintien fier, respirant la confiance en soi, d’une dignité singulière »10. Pour ce faire, ils parlaient nécessairement de la grande guerre sainte qui n’est pas l’effort du croyant déployé contre les infidèles, mais lutte intérieure du musulman contre les passions mauvaises pour une victoire morale sur lui-même. Comme le dit si bien un marabout : « Laisse en paix les Roumis ! Que ton âme soit ivre du seul noble combat conseillé par le Livre. Toi-même sois ton champ de bataille. Oh Croyant ! » . Ainsi donc, dans sa doctrine authentique, l’islam était parfaitement à même de relever tous les défis engendrés par le monde moderne. Les idéologies ne pouvaient saper les fondements de ses dogmes, et les religions révélées ne lui sont nullement antipathiques. Il impose à ses adeptes la croyance à l’Unicité de Dieu et ne cesse de leur enseigner que les succès matériels ne doivent jamais leur faire perdre la pensée d’Allah. Ces arguments ne pouvaient pas modifier fondamentalement l’attitude de l’administration vis-à-vis de l’islam qui lui disputait le contrôle des consciences. Elle mettait tout en oeuvre pour arrêter ses progrès, voire le faire reculer, en s’appuyant sur ceux qui, naguère, étaient violemment réfractaires à son message, à savoir les païens. De plus, en bannissant les dirigeants dont l’hostilité vis-à-vis de la France était manifeste, l’islam cesserait d’être, à plus ou moins brève échéance, une force politique et ne serait plus en mesure de la concurrencer sur le terrain de la conquête des âmes. On assisterait alors au retour offensif du paganisme qui rendrait possible le triomphe du christianisme et partant de l’assimilation.
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